Quelque part dans le ciel d’Odin ou de Thor. Je contemple de mon hublot une lune presque pleine dans un ciel encore presque bleu.

Il est 21h13 en ce 4 mai et les jours sont bien plus long maintenant que le solstice est dans la ligne de mire, surtout dans les cieux septentrionaux que je sillonne régulièrement depuis quelques temps maintenant. Un léger voile de nuages en contrebas laisse à peine entrevoir le paysage de monts et vallées qui commence à s’illuminer de petites lucioles, à mesure qu’une marée d’encre sombre envahit l’éther bleu-ciel de cette fin de journée. Une journée de plus qui se rajoute au compteur d’une vie. Quarante et un ans déjà. Alexandre aurait déjà soumis le monde. Il n’aura eu besoin que de trente-deux ans. Il en aura fallu encore moins à la vanité des hommes d’un petit pays du Moyen-Orient pour mettre à genoux ce petit coin de paradis qui faisait rêver orientalistes et orientaux au diapason levantin.
Trente-deux ans séparent l’indépendance du Liban d’une guerre fratricide et suicidaire. Trente-deux ans d’un âge d’or auquel succèderont quinze longues années de plomb. Puis, un dernier sursaut d’un peu moins de trente ans, poudre aux yeux, morsure de défibrillateur sur un cœur déjà bien fatigué, et finalement, la platitude d’un électroencéphalogramme déjà bien éprouvé, après deux derniers pics d’activité intense: la pire crise financière des temps modernes et la mise à mort de Beyrouth un soir d’août.
Trente-deux ans. L’âge du Macédonien quand il rendit l’âme après avoir soumis le monde. L’âge du Liban quand débuta sa lente agonie, soumis qu’il fut par la vanité et l’orgueil de ses enfants. L’âge que j’avais quand, bien loin du pays qui m’a vu naître, j’ai tenu mon premier enfant dans mes bras, quand je l’ai bercé pour la première fois au son de mon pays d’origine pour insuffler le Liban dans son cœur.
“Nami ya zghiri, nami
Ta ghattiki bi hrami
Wa hrami min wra’ lwardi
Wil wardi bit hibbik, nami”
Dors petite, dors. La langue du cœur ne se commande pas.
J’ai quarante et un ans cette année et ma rage pour le Liban ne faiblit pas. Les raisons de cette rage? Quelques-unes me viennent à l’esprit: des parents, des grands parents, quelques irréductibles amis, un peuple, tellement hétéroclite de par ses 18 confessions et ses millions de manières de vouloir ce pays, une grande famille tellement éparpillée de par le monde que son seul dénominateur commun reste ce petit pays méditerranéen et une langue aux sonorités de soleil levant, de thym à l’huile d’olive et de café épais. Et peut-être aussi les souvenirs, et l’espoir qu’ils ne finissent pas en regrets. Qu’ils restent teintés d’un rayon de nostalgie mais qu‘ils ne soient pas corrompus par l’amertume de l’inévitable.
Je radote. Je me répète. Mon pays natal revient sans cesse dans mes billets. La raison est simple. Voyez-vous, j’ai quarante et un ans cette année et pour la première fois de ma vie, je prie de ne pas avoir à enterrer mon pays de mon vivant.
Il est 22h04. L’avion se réveille de sa pénombre bleuâtre.
“PNC, début descente”.
Le ciel dehors se pare déjà du deuil d’une journée de printemps. Les nuages n’en sont que plus beaux. Puisse le soleil se lever demain pour ce petit pays au bord de l’oubli.

Et joyeux anniversaire à mon papa, là-bas.
Let the board sound
Rabih