
Décidément, je n’écris plus qu’à trente-mille pieds d’altitude. J’avais bien tenté de lire un peu, mais la démangeaison d’écrire aura eu raison de ce brave compagnon de voyage vers la page trente. Ce n’est que partie remise, tu seras plus qu’un compagnon dans la solitude des nuits d’hôtel. Un confident. Tiens, nous referons peut-être le monde autour d’un Old Fashioned au bar du trente-quatrième.
Ce soir donc, je voyage seul. Bien calé dans mon 8F coté hublot, les barrières de l’éther ou de la langue me séparent de mes semblables, qu’ils soient trente-mille pieds plus bas ou assis au 8D. C’est l’occasion rêvée de se perdre dans des pensées inutilement inutiles et les coucher sur du papier. La solitude ne m’effraie pas. Je la recherche. C’est un luxe que l’on ne peut plus s’offrir souvent, même dans nos pensées.
Elle est tout mon contraire de ce point de vue. Elle tire son énergie de ses rencontres, sa vitalité de ses amitiés. Trop de rencontres m’épuisent, trop de solitude l’éteint. C’est sans doute pour cela qu’elle est mon soleil et que je suis son ancre. Elle est rarement dans mes textes. Je voudrai bien qu’elle y prenne plus de place, ce n’est pas la place qui manque. Mais elle est pudique, à moins que ce ne soit ma plume… Elle me manque déjà, malgré mon inclinaison pour la solitude ce soir.
Oslo est à plus de quatre-vingt-dix minutes de ce coin du ciel. Je me replonge dans mon bouquin, un roman captivant d’Amine Maalouf, où il est question de solitude justement. Je lis, et j’envie ce personnage bien au chaud au milieu de la tempête, face à l’âtre rougeoyante, dans sa maison, seule habitation d’une île presque déserte. J’envie ce gardien de phare au figuré, et je me surprends à déplorer la lente mais inexorable disparition de ce métier solitaire. J’aurais bien aimé être gardien de phare, pour la beauté des éléments déchainés sur une pointe bretonne, pour la solitude face aux vagues océanes, face à la nuit pluvieuse. Pour seuls compagnons, j’aurai un carnet, un stylo, quelques bouquins, un harmonica ou une guitare, et un rayon de lumière qui guidera les navires à bon port. Le solitaire est peut-être aussi un petit soleil pour ceux qui le regardent passer au loin, et eux, son ancre dans la réalité du monde.
Assez divagué, je me replonge dans mon bouquin. Au retour, ce sera Dostoïevski, ou Michel Onfray, et peut-être une autre diatribe inutilement inutile, puisque je n’écris plus qu’en altitude parait-il.
Let the board sound
Rabih