Le soleil se lèvera-t-il au bout de la nuit?

Il est 23h38. Je sirote mon café agrémenté d’un bout d’écorce d’orange en cette froide nuit de décembre. Un truc que j’ai appris de mon frère, un fin palais celui-là, et que je vous conseille vivement. L’écorce d’orange, pas le café de minuit bien sûr, si vous tenez au sommeil. Personnellement, le café ne me fait aucun effet, j’irai dormir sur mes deux oreilles dès que nous aurons fini cette conversation cher lecteur, sans doute à cause d’une accoutumance à l’adrénaline et aux effets du stress que je dois à mes origines.

Photo by Andres F. Uran

Je sirote mon café donc, et je pense à cette malédiction du départ, qui n’est que l’autre face de celle de rester. Au-delà des polémiques et autres diatribes sur le sujet, quand on y pense, peu de nos compatriotes partent par choix. Entre le départ et la famine, c’est contraints et forcés qu’ils font leurs bagages quand l’opportunité se présente, et des fois sans même attendre qu’elle ne le fasse. Quant à ceux qui restent, c’est dos au mur qu’ils subissent leur dur destin et le choix n’a rien à faire là-dedans non plus. Ils partiront quand leur heure sera venue, si tant est qu’elle viendra, vers d’autres contrées ou un monde meilleur et ce ne sera pas par choix. Partants, restants, ils partagent la même malédiction.

Alors qu’importe si tu pars ou si tu restes, quand l’avenir que tu contemplais t’échappe et que la faim ou l’exil sont les seuls choix qui restent. Mais s’agit-il vraiment d’un choix? Plutôt un dilemme il me semble. Le choix, tu le feras après: Porter ou pas le nom de notre pays bien haut dans les contrées où tu poseras tes valises après avoir laissé une partie de toi derrière, garder ou pas la tête haute dans cette vallée de larmes où tu restes quand tes amis, tes frères, tes compatriotes partent par milliers, par centaines de milliers… Je suis parti, il y’a de cela des années maintenant. Pas vraiment par choix, pas vraiment contraint, j’avais l’impression de suivre un destin, le destin de ceux qui m’ont précédé, de ceux qui me suivront. Un départ est toujours compliqué à expliquer. Il comporte sa part de lumière et sa part d’ombre et le voyageur n’est pas toujours prêt à faire face à cette dualité. J’imagine que ceux qui restent ne sont pas non plus épargnés par la part d’ombre que ce pseudo-choix comporte également.

Cher lecteur, il est 2 heures du matin et je vois tes yeux qui se ferment déjà. Partant ou restant, tu baisses les armes face au vainqueur universel qu’est le sommeil. Tu aurais dû te le faire couler, ce café agrémenté d’une écorce d’orange. Des écorces, il en reste encore d’abordables au Liban, à défaut du fruit qu’elles sont supposées couvrir, mais elles feront l’affaire. Fais-le donc couler ce café, et trinquons. Attends! Avant, fais couler un filet de bourbon dedans, ça porte malheur de trinquer à la bibine édulcorée. Et trinquons donc. Buvons ce café de minuit à l’honneur de notre pays qui n’existe que depuis 1920 mais qui a été façonné tout au long de plus de six mille ans d’histoire, tout au long des millions d’histoires que ceux qui nous ont précédés se sont racontées et que ceux qui nous suivront se raconterons peut-être, il est permis d’espérer, autour d’un feu de bois ou d’une chandelle, ou un peu comme nous le faisons, autour d’un café agrémenté d’une écorce d’orange, par écrans interposés, mais partageant un fardeau qu’ils seront seuls à porter: du fond de cette nuit noire au bout de laquelle le soleil ne se lèvera peut-être pas, ils sont les uniques dépositaires de l’histoire d’un pays au bord de l’oubli, ils sont les seuls garants de sa continuité.

Alors cher lecteur, où que tu sois, fais que le soleil se lève au bout de la nuit.

A Salim

Let the board sound

Rabih

Cet article a été également publié dans les colonnes de L’Orient-Le Jour.

An autumn pilgrim

It would have been a typical French Café, not too far from the Opéra Garnier. Sidewalk terrace, wicker chairs, a small round table, and on it two noisettes, which, for those whom Paris has not had yet the pleasure to greet, consist in espresso coffee with a drop of milk giving it a warm hazelnut color. And two folks, enjoying the pale Parisian autumn sun while sipping their noisettes on a cold November afternoon.

They had not seen each other for years. A lot of catch-up to do, but it would have not been about that, they would have been on a tight schedule. They would have not been there for fun but rather on a pilgrimage.

They would have visited the Carnavalet museum, earlier in the day, in a naïve attempt at grasping, through a specific painting, what they both believed would have been La Belle Epoque, “this stubborn, urgent, romantic, belief in a beautiful world that could really survive, if it fights hard enough“, as one of them once put it.

Since they would have found themselves in the Opéra area after that for a quick noisette, they might have strolled around the Christmas displays at the Galleries nearby. Or would have probably moved towards the Parc Monceau, a 25 minute walk through beautiful streets paved with red and yellow leaves: Rue Auber, Boulevard Haussmann, Boulevard Malesherbes. A walk in the park maybe, or maybe not if time was not on their side, and then past it, walking further north towards a very special chocolate factory… Pilgrimage, again…

They would have wanted to check on an old friend, living in the 5th arrondissement in Rue d’Ulm, not far from the Panthéon. He did not talk much and was kind of lonely but nevertheless, the depositary of a name and a legend which should not go to waste.

They would have ended the pilgrimage in a café in Montparnasse, one of four Art Deco cafés facing each other at the intersection of Boulevards Raspail and Montparnasse in the 14th arrondissement. Which one would it have been? Le Dôme? Le Sélect? La Coupole? or maybe La Rotonde

One of them would have known.

Would have. Could have. Might have. All virtual, all conditional.

Because one of them did not enjoy freedom of movement, was not found worthy of it.

You see, one of them would have come from a small country on the verge of oblivion.

Let the board sound

Rabih