
Une langue slave, autant que je puisse en juger. Deux jeunes gens, un couple somme toute sympathique, autant que je puisse en juger. Les Balkans, peut-être, ou peut-être l’Ukraine. Autant que je puisse en juger. Je laisse tomber Onfray et décide de m’intéresser un tant soit peu à mes semblables.
Il prend du thé. Une bouteille d’eau. Elle prend la même chose. Et moi de même, histoire d’engager la conversation, comme sur un malentendu, “Ah tiens, nous avons pris la même chose!”. Les rêveries du promeneur solitaire auxquelles je m’adonnais à l’aller n’ont plus cours semble-t-il. Je me reprends soudain: le sujet du moment viendra sur le tapis tout seul, et avec lui, les platitudes auxquelles mes deux jeunes voisins ne pourront que se résigner, venant de la part d’un monsieur en costume-cravate de quinze ans leur ainé. Bon, vingt ans. Ou alors, ils sont Russes, mais cela ne changera pas grand-chose: Mêmes platitudes mais en mirroir.
Est-ce que je saurai leur épargner la déconvenue d’une conversation convenue que je leur aurais moi-même infligée? Les flatteries? Les non-dits? Eviter de ménager les sentiments d’un David dont la patrie ploie sous une pluie de feu et d’acier, ou les sentiments d’un Goliath dont la patrie est mise au ban des nations, alors qu’en réalité, Ukrainiens soient-ils ou Russes, ils ne sont ce soir que les pauvres enfants égarés d’une patrie au bord de l’abîme et d’une nation qui s’enfonce dans l’obscurité? Le fils d’un petit pays au bord de l’oubli que je suis aurait pu mieux faire que de sacrifier à la crainte des platitudes mondaines. Il aurait dû mieux faire.
“PNC, début descente.”
Il ne me reste qu’une vingtaine de minutes pour partir à la recherche du temps perdu. Vite! Trouver la bonne perche pour tisser un lien. Plait-il? Ils ne parlent pas Anglais? Ah… La bonne excuse qui tombe à point nommé pour me donner bonne conscience. Un regret de plus, une occasion ratée de rendre ce monde un peu meilleur. Ou pas. Autant que je puisse en juger.
Let the board sound
Rabih