Autant que je puisse en juger

Photo by Pixabay on Pexels.com

Une langue slave, autant que je puisse en juger. Deux jeunes gens, un couple somme toute sympathique, autant que je puisse en juger. Les Balkans, peut-être, ou peut-être l’Ukraine. Autant que je puisse en juger. Je laisse tomber Onfray et décide de m’intéresser un tant soit peu à mes semblables.

Il prend du thé. Une bouteille d’eau. Elle prend la même chose. Et moi de même, histoire d’engager la conversation, comme sur un malentendu, “Ah tiens, nous avons pris la même chose!”. Les rêveries du promeneur solitaire auxquelles je m’adonnais à l’aller n’ont plus cours semble-t-il. Je me reprends soudain: le sujet du moment viendra sur le tapis tout seul, et avec lui, les platitudes auxquelles mes deux jeunes voisins ne pourront que se résigner, venant de la part d’un monsieur en costume-cravate de quinze ans leur ainé. Bon, vingt ans. Ou alors, ils sont Russes, mais cela ne changera pas grand-chose: Mêmes platitudes mais en mirroir.

Est-ce que je saurai leur épargner la déconvenue d’une conversation convenue que je leur aurais moi-même infligée? Les flatteries? Les non-dits? Eviter de ménager les sentiments d’un David dont la patrie ploie sous une pluie de feu et d’acier, ou les sentiments d’un Goliath dont la patrie est mise au ban des nations, alors qu’en réalité, Ukrainiens soient-ils ou Russes, ils ne sont ce soir que les pauvres enfants égarés d’une patrie au bord de l’abîme et d’une nation qui s’enfonce dans l’obscurité? Le fils d’un petit pays au bord de l’oubli que je suis aurait pu mieux faire que de sacrifier à la crainte des platitudes mondaines. Il aurait dû mieux faire. 

“PNC, début descente.” 

Il ne me reste qu’une vingtaine de minutes pour partir à la recherche du temps perdu. Vite! Trouver la bonne perche pour tisser un lien. Plait-il? Ils ne parlent pas Anglais? Ah… La bonne excuse qui tombe à point nommé pour me donner bonne conscience. Un regret de plus, une occasion ratée de rendre ce monde un peu meilleur. Ou pas. Autant que je puisse en juger.

Let the board sound

Rabih

Solitude

Décidément, je n’écris plus qu’à trente-mille pieds d’altitude. J’avais bien tenté de lire un peu, mais la démangeaison d’écrire aura eu raison de ce brave compagnon de voyage vers la page trente. Ce n’est que partie remise, tu seras plus qu’un compagnon dans la solitude des nuits d’hôtel. Un confident. Tiens, nous referons peut-être le monde autour d’un Old Fashioned au bar du trente-quatrième.

Ce soir donc, je voyage seul. Bien calé dans mon 8F coté hublot, les barrières de l’éther ou de la langue me séparent de mes semblables, qu’ils soient trente-mille pieds plus bas ou assis au 8D. C’est l’occasion rêvée de se perdre dans des pensées inutilement inutiles et les coucher sur du papier. La solitude ne m’effraie pas. Je la recherche. C’est un luxe que l’on ne peut plus s’offrir souvent, même dans nos pensées.

Elle est tout mon contraire de ce point de vue. Elle tire son énergie de ses rencontres, sa vitalité de ses amitiés. Trop de rencontres m’épuisent, trop de solitude l’éteint. C’est sans doute pour cela qu’elle est mon soleil et que je suis son ancre. Elle est rarement dans mes textes. Je voudrai bien qu’elle y prenne plus de place, ce n’est pas la place qui manque. Mais elle est pudique, à moins que ce ne soit ma plume… Elle me manque déjà, malgré mon inclinaison pour la solitude ce soir.

Oslo est à plus de quatre-vingt-dix minutes de ce coin du ciel. Je me replonge dans mon bouquin, un roman captivant d’Amine Maalouf, où il est question de solitude justement. Je lis, et j’envie ce personnage bien au chaud au milieu de la tempête, face à l’âtre rougeoyante, dans sa maison, seule habitation d’une île presque déserte. J’envie ce gardien de phare au figuré, et je me surprends à déplorer la lente mais inexorable disparition de ce métier solitaire. J’aurais bien aimé être gardien de phare, pour la beauté des éléments déchainés sur une pointe bretonne, pour la solitude face aux vagues océanes, face à la nuit pluvieuse. Pour seuls compagnons, j’aurai un carnet, un stylo, quelques bouquins, un harmonica ou une guitare, et un rayon de lumière qui guidera les navires à bon port. Le solitaire est peut-être aussi un petit soleil pour ceux qui le regardent passer au loin, et eux, son ancre dans la réalité du monde.

Assez divagué, je me replonge dans mon bouquin. Au retour, ce sera Dostoïevski, ou Michel Onfray, et peut-être une autre diatribe inutilement inutile, puisque je n’écris plus qu’en altitude parait-il.

Let the board sound

Rabih

Compagnon de Voyage

In French, because why not?

Photo by Jed Owen on Unsplash

Un grand sac bandoulière en cuir tanné, un peu rétro. Mon compagnon de voyage depuis maintenant quelques mois. Un cadeau choisi à défaut d’être subi, pour faire durer le plaisir au-delà du papier cadeau. Surprise choisie, paradoxe dont je m’accommode fort bien.

Bien moins pratique qu’un bagage cabine classique, il n’en a que plus de charme. Cet anachronisme dans le monde sans fioritures de la fintech donne à son propriétaire bien plus d’allure qu’il n’en mérite. Je me trouve ainsi beaucoup plus écrivain qu’ingénieur à trente-mille pieds d’altitude, par la grâce de ce compagnon un peu loufoque, alors que je couche ces quelques lignes dans mon carnet. Ou alors ingénieur quand même, mais de ceux qui chroniquèrent les rêves scientistes du XIXe siècle à la Jules Verne, les Nemo dans leur Nautilus, les Impey Barbicane dans leur obus d’aluminium. Les Gustave Eiffel dans leur antre, du haut d’une tour éponyme. Ingénieurs d’une époque où tant restait à inventer, où l’ingénierie et l’art se confondaient encore des fois, comme en témoignent encore les ouvrages de cette époque, qui ne se préoccupaient pas tant d’être fonctionnels que d’avoir du charme, de l’allure. D’être beaux. Une époque de sacoches en cuir tanné.

J’aime pourtant penser qu’un ingénieur qui officie dans le domaine quelque peu aride des technologies pour institutions financières d’aujourd’hui reste poète, griot, conteur, s’il arrive à mettre ses tribulations et ses rencontres en contes. Ne lui reste alors qu’à espérer susciter l’intérêt de quelque lecteur, à défaut de le tenir en haleine. Il suffit parfois d’une autre paire d’yeux qui rêve en lisant la prose d’un prétendant pour en faire un poète à son insu. Rien n’est moins sûr pourtant en ce qui concerne ma prose. J’implore donc la bienveillance de mes semblables qui liront ces lignes. Jugez les si vous le devez, mais de grâce, épargnez mon compagnon. Il n’est qu’inspiration. Les fadaises ne sont que de mon fait.

Sur ce, “PNC, préparez-vous pour l’atterrissage”.

Enfin. Ce n’est pas trop tôt.

Let the board sound

Rabih