Sous un Ciel d’Orient

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Ciel de nuit, tout étoilé sans doute, bien que les lumières de la ville éclipsent ces astres lointains. Il fait chaud. Très chaud. La ville ne dort pas. Aux Porches Cayenne d’il y’a quelques mois se sont succédé les Corvettes. Elles seront bientôt suivies d’une vague d’Audis R8. La mode est une curieuse créature sous ces latitudes.

Les vrais connaisseurs savent pourtant que la mode véritable et véridique est intemporelle. Toyota Land Cruiser ou son équivalent Lexus. Peut-être même un G63 pour les plus excentriques, mais guère plus. La jeunesse se laissera peut-être embobiner par des sirènes italiennes ou même allemandes, allez savoir, mais les vrais hommes du désert, ceux qui ont gardé ce petit je ne sais quoi des jours d’avant, ou qui l’ont hérité de ceux qui, parents ou mentors, ne l’avaient pas encore perdu, ceux-là savent mieux. Une Italienne racée ne vaut rien sur une dune.

Je suis à la terrasse de Sayyid. Chicha aux deux pommes, tasse de thé-gingembre, partie de backgammon désespérée. Je suis en train de perdre bien évidemment, sans doute parce que Georges, contre qui je joue, vient de m’en apprendre les règles. Il doit être pas loin de minuit. Je prends une longue bouffée de tombac édulcoré aux deux pommes et je songe à l’avenir. Je suis au carrefour d’une vie déjà bien remplie. J’ai vingt-huit ans, largué, donc libre comme l’air, et mon destin est à construire. Je suis loin de me douter de ce que ce destin sera fait. Je suis loin d’imaginer tout ce que la vie me réservera au cours des treize années qui suivront cette longue bouffée de chicha, les opportunités, les joies, les peines, les aventures. Les rencontres. Surtout les rencontres. Je ne vous cache pas que certaines auront été plus marquantes que d’autres. Comme ce jour où j’ai fait la connaissance de Rita. Vous la connaissez bien cette rencontre, et vous savez peut-être que c’est un peu à travers elle que la majorité des rencontres qui ont compté dans ma vie ont vu le jour. Mais ce n’est pas de l’histoire de cette rencontre qu’il s’agit ce soir.

Je ne suis pas quelque part entre Oslo et Paris, pour une fois. Il est minuit quarante-sept, et je suis assis au fond de mon canapé, celui-là même où vous vous étiez calés pour boire un café libanais, chez ces gens que vous rencontriez pour la première fois, tandis que le petit pirate qui vous sert de fiston se frottait au petit bandit qui tient le même rôle dans notre maison.

Ce soir, vous êtes sur le point de repartir vers l’orient, après une aventure qui aura duré de longues années et qui vous aura menés à croiser notre chemin, et nous le vôtre. Du fond de mon canapé, je me souviens de cette rencontre, de celles qui ont suivi, des soirées mémorables qui en furent les corolaires, et le vieux Gaveau à ma droite n’en est que plus nostalgique. Votre futur dans ces contrées orientales titille mon passé dans les mêmes contrées et fait resurgir les souvenirs d’une période de ma vie qui fut douce-amère. J’en garde l’habitude de boire mon café avec une pelure d’orange pour en relever l’amertume, car même l’amertume finit par s’adoucir à travers les souvenirs, et de souvenirs, on n’en garde finalement que les plus beaux, le temps s’en assure pour nous. Tout ça pour dire que l’amertume que votre départ laisse ici se sirote comme celle d’un café à pelure d’orange, ou mieux, comme celle d’un Old Fashioned, à la lueur des souvenirs de ces dernières années où nous nous sommes connus.

Ce billet un peu vignette ou carte postale est mon cadeau d’adieu. Quant à votre cadeau pour moi, et bien, vous me lirez de temps en temps et vous vous souviendrez de ce pote qui publiait des billets à pas d’heure et que vous lisiez durant vos insomnies, parfois, comme maintenant. Et vous repasserez par Paris bien sûr, cela va sans dire.

Nous gardons d’ailleurs le cousin en otage. On ne sait jamais avec les commerciaux…

Let the board sound

Rabih

On a coffee shop for expatriates

!ازيك يا برنس

That’s read from right to left, pronounced “Ezayyak ya brinse“, and Sayyid’s way of greeting you to his coffee shop every evening. It was not a Starbucks, nor a Costa, and certainly not a French café. No fancy décor, no elevator music, no jazz. Oum Koulthoum was the staple as far as music was concerned. Fairuz could be heard as well. Abdel Halim Hafez also, from time to time. It was as real as it gets in this part of the world: Egyptian tenants, and clients from all over the Arab world: Egyptians obviously, but also Jordanians, Syrians, Palestinians, a few folks from Iraq, a couple of people from North Africa and some Lebanese…

Shisha, a.k.a hookah or arguileh, was common ground. Water pipe that is.

شيشة حامض و نعنع من فضلك

The rest depended on personal preferences: Koshari tea, ginger, coffee. Backgammon, Dominos. There was however a code for tobacco. The main choices boiled down to either Mouassal or Ajami. The latter consisted of finely chopped tobacco leaves with a couple of embers placed directly on them. Harder on the lungs supposedly, but definitely harder on the pocket, so most of the folks there would put back their ego where it should remain and take Mouassal, or fruit flavored tobacco. “Two apples” meant you were a newbie, a mistake to avoid at all cost. “Mint and Lemon” was a good compromise and most would smoke that, although a few posers would have more exotic flavors. It was a health disaster in all cases, with one alternative just being less expensive.

Most customers would come in around 9 or 10 PM and many would not leave before 2 AM. They probably had a lot on their minds and no one to share their dreams, their hopes, their fears. All they could do was drown their sorrows in the grey and white volutes of a mint-and-lemon-flavored shisha and make it last long enough to count.

Now would probably be a good time to give you more context. Abu Dhabi, 2009. The wave of the subprime crisis had already hit the shores of Dubai and drowned its swollen real estate market, driving most of its workforce to the neighboring emirate where work was still available. Most of Sayyid’s customers fell in that category. They had left Dubai some weeks or months ago looking for the next opportunity as you would put it on your linkedIn profile. Except these folks did not have one. Most were coming from God forsaken places, thriving to provide for families they had left back home, and many were in “professional transition”, which meant they needed to find a job, fast, or risk loosing their work permit. Their only escape from the vicissitudes of their lives was a daily dose of Sayyid’s coffee shop.

This part never gets told in the expatriate official tale. Expatriation is not always about living between the expat compound, the 5-star hotel, the platinum lounge and the Michelin star restaurant. It is sometimes less glamourous. Much less. It sometimes sounds like “immigration”. At least for the poor lads who need it most.

Let the board sound

Rabih