Voyages

Quelque part dans le ciel, entre Paris et Oslo

Photo by Christelle Hayek on Unsplash

Parka noire et sac de voyage. Un grand sac bandoulière en cuir. J’ai laissé tomber les valisettes à roulette, pas assez nostalgiques. La magie d’un autre temps qu’enveloppe ce cuir tanné m’inspire, malgré son manque criant de roulettes qui me casse les reins, mais là demeure tout le charme de ce beau bagage un peu encombrant. Dedans, entre les chemises et le nécessaire de toilette, un carnet de cuir noir aux feuilles vierges de lignes ou de carreaux. Un stylo à encre verte. Le dernier Femina de chez Grasset, après l’avant dernier Goncourt de la semaine dernière et le dernier Goncourt des Lycéens de la semaine d’avant. Je sais, je voyage beaucoup ces derniers temps. Ce Femina donc, ne se lit pas d’une traite. Il ne se livre pas aisément.

Ça me rappelle mon pays natal. Ses chênaies sauvages, mystérieuses si l’on veut, voire mystiques. Les vieilles maisons abandonnées que l’on y retrouve, les vieilles chapelles en pierre de taille sur lesquelles débouchent les chemins oubliés de ces forêts de la montagne. Elles portent l’histoire de familles que l’une des vagues d’émigration que le pays connait depuis le XIXe siècle a transplantées sous d’autres cieux, brésiliens ou américains. Elles portent l’histoire d’un pays, une histoire que les livres d’histoire ont sans doute oubliée, comme celle de cette église de la montagne, doublée d’un petit couvent, érigée par la grâce d’un don du roi de France aux chrétiens de ce coin d’Orient.

Il ne reste de trace écrite de ce morceau d’histoire que la stèle en marbre qui surplombe son portail trois fois centenaire. Et la photo que j’en ai prise lors de mon avant dernier passage. Et les quelques lignes que je couche sur les feuilles vierges de lignes et de carreaux de mon carnet de cuir noir, à l’encre verte de ce stylo que j’ai fini par retrouver au fond du sac, d’une main assez peu assurée, la faute aux turbulences qui nous balancent depuis quelques minutes quelque part au-dessus de l’Allemagne, à moins que ce ne soit la Suède.

D’autres pépites encore plus confidentielles n’ont pas gardé de traces dans le grand livre de l’histoire de ce petit pays au bord de l’oubli, comme ces puits et canaux creusés par des générations disparues, irrigant on ne sait quels vieux villages disparus, chemins autrefois ensoleillés des pas des villageois que les villes et l’émigration auront soustrait à la montagne, chemins aujourd’hui l’apanage de chênes centenaires.

Les rencontres improbables entre l’expatrié que je suis et ces vieilles pierres oubliées au fond d’une chênaie de la montagne me rappellent que ce petit pays au bord de l’oubli recèle encore bien des émotions pour qui veut bien prendre la peine de les chercher, de les trouver. Mes enfants sont évidemment de la partie. Rendez-vous est pris avec la montagne à chaque passage au vieux pays. Leur grands parents et leurs potes, presque tous d’anciens scouts, s’occuperont de l’organisation, sous la houlette de Raymond, randonneur acharné devant l’Eternel et Grand Sachem sans qui ces randonnées hebdomadaires n’auront sans doute pas vu le jour.

Je les vois plein d’entrain courir sur ces vieux chemins de terre. Ils en ont plein les yeux. Une attache de plus avec le pays de leurs parents. J’espère juste qu’elle durera plus longtemps que leur enfance et qu’adultes, ils garderont un souvenir ému, une petite place dans leur cœur pour ce pauvre pays qui ne les aura pas vus naître.

Quant à moi, j’implore le bon Dieu dans la langue du cœur, celle dans laquelle je suis né, je l’implore de m’épargner des turbulences et de me mener à bon port, et je compte les secondes de cette heure et demie qui me sépare encore d’un atterrissage bien mérité à Oslo.

Let the board sound

Rabih