Les Routes Millénaires — Thousand-Year-Old Roads

Routes levantines ou chemins de l’esprit, nous les sillonnons sans répit au risque de nous y croiser, frères ennemis, mais compagnons d’infortune d’un pays au bord de l’oubli.

This is a story in French about my home country Lebanon. Bon courage et bonne lecture chers amis.

Photo by Dorsa Masghati on Unsplash

Des routes six fois millénaires, chemins du hasard qui mènent vers des destinations improbables. Et sur ces routes nous marchons, pour marcher, sans autre but que celui de partir vers l’avant, pour paraphraser Baudelaire:

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!

Routes levantines ou chemins de l’esprit, bitumes poussiéreux ou expériences de pensée, nous les sillonnons sans répit, au risque de nous y croiser, frères ennemis, compagnons de route néanmoins, d’infortune sûrement, d’un pays au bord de l’oubli.

Et je te poserai ces deux questions qui reviennent invariablement dans les conversations qui naissent entre deux inconnus qui se croisent sur ces routes.

من بيت مين؟
من وين؟

D’où viens-tu?
Quel est ton nom?

Ta fierté dépassera ta méfiance, tu me diras tout: ton nom de famille, ton village d’origine, me livrant par là-même ta religion, ta confession, ces identifiants sociaux et mêmes politiques sur lesquels repose le cœur de nos identité meurtrières, si bien décrites par Amine Maalouf.

Et alors, je me souviendrai. Je me souviendrai que vous nous avez pourchassés comme des chiens, que vous avez occupé nos maisons, brulé nos sanctuaires, massacré nos pères, assassiné nos femmes et nos enfants, que vous vous êtes tournés vers l’Extérieur pour mieux nous trahir et détruire Notre Pays pour le remplacer par le Vôtre.

Sur le point de me fermer à la conversation pour mieux te haïr, je me souviendrai aussi que nous vous avons fait de même.

Je me souviendrai que ce qui nous sépare n’est qu’un miroir dans lequel ce que nous portons en nous de ressentiment stérile et de noirceur se reflète pour mieux nous aveugler.

Je me souviendrai que vous avez pleuré vos morts durant quarante jours de deuil, ceux-là mêmes durant lesquels nous avons pleuré les nôtres, quarante jours de deuil qui transcendent les religions, quarante jours où les nôtres et les vôtres auront été Un dans la douleur et les larmes qui les séparent de leurs morts.

Je me souviendrai, et te dévisageant, je devinerai tes souvenirs. Je verrai dans tes yeux ce que tu vois dans les miens, ce reflet de méfiance, de souffrance, de deuil et d’incompréhension, et au delà, un soupçon d’espoir, celui d’avoir une conversation agréable avec un compatriote.

Alors, nous nous essaierons sans doute à ce jeu immémorial qui consiste à nous trouver des amis, des connaissances communes, des parentés supposées lointaines mais O plus proches que soupçonné, voire, des lieux dont nos mémoires se souviennent de la même manière, des plats qui nous rappellent ce qui reste de beau dans ce pays au bord de l’oubli. Nous nous raconterons nos vies, nos souvenirs peut-être, nos exils surement, nos échecs aussi, nos enfances et celles de nos enfants.

Et jusqu’au prochain carrefour, nous nous raconterons nos aspirations pour ce pauvre pays auquel nous croyons toujours, et nous nous quitterons à la croisée des chemins, meilleurs amis du monde, ou simples connaissances de passage, mais nous aurons laissé un Liban un peu plus beau à la fin de ce périple commun.

Let the board sound

Rabih