Est-ce que tu te rappelleras, une fois que le temps sera passé? Est-ce que tu te souviendras quand tu auras grandi? Quand tu auras l’âge de partir, de courir, de voler? Quand tu auras mon âge?
Te rappelleras-tu cet après-midi qui ne fut qu’à nous deux, sur ce petit coin de table dans le café au coin de la grande place, pas loin de la bouche de métro au coin de la rue? Serait-ce pour toi un havre de paix intérieure quand la vie n’aura plus pour toi la bienveillance qu’elle a d’habitude pour les petits garçons débordants d’énergie? Quand tu te retrouveras coincé par elle dans d’autres coins moins agréables?
Te rappelleras-tu alors ce petit moment de bonheur, cette petite heure que nous avions passée ensemble autour d’un dessert? J’avais pris un chocolat liégeois et toi deux boules de glace, nous étions deux complices, deux polissons qui se gavent de sucre à l’insu de maman, tu jouais à faire rouler un bâton de sucette sur la table et moi à le ramasser inlassablement et tu m’expliquais la magie enfantine qu’il y’ avait vraiment derrière ce petit jeu, avec ton imagination débordante de petit garçon.
Te rappelleras-tu cet épisode quand tu seras devenu l’homme de la maison pour de bon? Quand ton papa sera vieux, quand il ne sera plus? Quand un petit garçon t’appellera papa à son tour et sera tout pour toi? Quand tu seras assis avec un petit garçon ou une petite fille dans un café au coin de la rue à partager une glace et un moment de bonheur?
Garderas-tu dans ton cœur l’amour inconditionnel des enfants, celui que rien ni personne ne peut vaincre, sauf le temps, fossoyeur universel des souvenirs et des passions? Est-ce qu’il viendra à bout de ce souvenir? Te rappelleras-tu ce moment quand même, comme un salut ultime, une revanche, une rédemption arrachée in-extremis à la vie quand bien même tout le reste serait raté?
Te rappelleras-tu, mon fil?
Let the board sound
Rabih